Anne Chicheportiche : réinventer la musique classique à Miami avec Musimelange
- Camille Colloch
- 21 févr.
- 5 min de lecture
SÉRIE SPÉCIALE ABROAD. Miami, ville de modernité et de métissage culturel, attire des entrepreneurs venus du monde entier pour réinventer leur secteur d’activité. C’est le cas d’Anne Chicheportiche, violoniste professionnelle et entrepreneuse, qui a su transformer l’expérience de la musique classique en un concept immersif unique : Musimelange. En associant concerts, gastronomie et dégustations de vin, elle casse les codes traditionnels et crée une connexion inédite entre musiciens et public.

Installée aux États-Unis depuis plus de 20 ans, elle s’est imposée dans le paysage musical de Miami en repensant le rôle du spectateur et l’expérience sensorielle du concert classique. Rencontre avec une violoniste professionnelle qui a ajouté l’entrepreneuriat à son parcours exceptionnel.
De Antibes à Miami : un parcours d’excellence
Anne Chicheportiche a le violon dans la peau depuis son plus jeune âge. Originaire d’Antibes, elle commence l’instrument à 7 ans et développe rapidement un talent exceptionnel. Son parcours l’emmène dans les plus grandes institutions musicales. Ce sera notamment Genève - où elle obtient son diplôme de soliste - mais aussi Chicago, où elle décroche un master et intègre le Chicago Symphony Civic Orchestra ou encore Washington, où elle décroche un doctorat en Violin Performance.
À Chicago, elle joue sous la direction de Boulez, Haitink et Chung, une immersion auprès des plus grands chefs d’orchestre du monde. Elle s’imagine rentrer en France… mais l’amour la retient aux États-Unis. Mariée à un Américain originaire de Miami, Anne s’installe donc dans la ville en 2010 et doit repenser sa carrière et son avenir.
Anne, une virtuose sans frontières
Si son cœur l’ancre aux États-Unis, sa passion pour la musique continue de la porter bien au-delà des frontières
Violon solo recherché, chambriste passionnée et soliste d’orchestres renommés en Europe et aux États-Unis, Anne a fait résonner son violon sur les plus grandes scènes du monde. Des festivals prestigieux aux créations les plus audacieuses, elle insuffle une modernité vibrante à la musique contemporaine.
Interprétant de nombreuses œuvres contemporaines avec des ensembles importants telles que Le Balcon de Paris, elle façonne de nouvelles sonorités et repousse les limites de l’expression musicale.
Mais son engagement va au-delà de la scène : en tant que directrice artistique d’un programme de musique de chambre et manager du Verbier Festival Chamber Orchestra en Suisse, elle façonne l’avenir de la musique avec la même passion qui guide son archet.
Musimelange : une réponse à la déconnexion entre la musique et le public
À Miami, Anne Chicheportiche perçoit une distance entre la musique classique et le public. « Je me suis demandé comment reconnecter les gens avec cette musique. J’ai compris que ce qui les attirait, c’était l’expérience sociale autour du concert. »
C’est ainsi qu’elle crée Musimelange, une série de concerts immersifs où la musique est associée à des dégustations de vins et à la gastronomie. Chaque concert est une expérience multisensorielle, où un chef et un sommelier élaborent des accords mets & vins en fonction du programme musical.
« Si on joue un programme de musique française, les invités découvrent des vins et plats français. Pour un programme romantique, le chef propose des mets inspirés de cette époque, jouant sur les textures et les saveurs. »
Avec quatre événements par an, 100 à 130 spectateurs par concert, Musimélange s’est imposé comme un rendez-vous incontournable à Miami.
Une entrepreneuse qui casse les codes
Si la musique classique est souvent perçue comme élitiste, Anne casse cette image en supprimant les barrières traditionnelles entre artistes et spectateurs.
« Dans un concert classique, le musicien est sur scène, intouchable. Avec Musimélange, j’ai supprimé cette séparation. Le public est au même niveau, il interagit avec nous, il ressent la musique différemment. »
Son concept repose sur la proximité et l’émotion. Il attire aussi bien des mélomanes confirmés que des néophytes curieux, séduits par l’approche immersive.
Un marché américain très compétitif pour les musiciens
Anne sait que le marché de la musique aux États-Unis est extrêmement concurrentiel. « Aux États-Unis, le financement de la musique classique est en crise. Miami a supprimé presque toutes ses subventions culturelles. Les sponsors préfèrent faire venir des orchestres célèbres comme le Chicago Symphony plutôt que d’investir dans des talents locaux. »
Cette situation fragilise les musiciens américains, qui peinent à vivre de leur art. Anne, qui enseigne également à l’université et donne des cours privés de violon, observe une grande différence avec la France.
Sur le vieux continent, les conservatoires offrent des formations gratuites ou abordables. Aux États-Unis, les cours de violon coûtent cher, et les bourses sont rares. En sus, les musiciens américains débutants sont en concurrence avec les meilleurs talents européens et asiatiques. « Aux États-Unis comme partout dans le monde il faut travailler dès le plus jeune âge pour être musicien professionnel. Ce qui est particulier aux US, c’est que les bourses d’études sont attribuées sur la base du mérite, contrairement à la France ou la Suisse, où elles sont accordées en fonction des moyens financiers. Cela crée une compétition internationale très intense, car tout le monde peut s’inscrire aux auditions. »
Une ambition : exporter Musimelange dans le monde
Alors qu’elle a fait de Musimelange un événement clé à Miami, Anne rêve plus grand.
Son objectif pour 2025-2026 : développer le concept à l’international. « J’aimerais voir Musimelange se développer dans d’autres villes. Il y a un vrai besoin de recréer du lien entre les musiciens et leur public. Certaines villes ont besoin d’un nouveau rapport à la musique classique. »
Avec l’essor des expériences immersives, elle voit un potentiel énorme pour son concept. Son modèle, qui repose sur l’interaction, la multi sensorialité et la proximité, pourrait séduire d’autres villes.
La musique : un outil de connexion et de guérison
Au-delà du plaisir esthétique, Anne Chicheportiche est convaincue que la musique a un rôle profond à jouer dans le bien-être et la santé mentale.
« Les vibrations musicales ont des effets sur le corps et l’esprit. Certaines fréquences peuvent favoriser la concentration, d’autres la guérison. Des recherches prouvent que la musique classique aide à réduire le stress et améliore les performances cognitives. »
Si elle n’a pas encore le temps d’explorer la dimension scientifique de la musique, elle applique ces principes dans Musimelange, en sélectionnant des œuvres capables de toucher les spectateurs émotionnellement et physiquement.
Une entrepreneuse entre art et business
En parallèle de Musimelange, Anne continue de jouer et d’enseigner. « Dans le monde musical européen, il existe parfois cette idée reçue selon laquelle ceux qui se lancent dans l’entrepreneuriat le font faute d’avoir réussi en tant que musiciens professionnels. En France, on entend encore de temps à autre ce vieux dicton que je déteste : “Ceux qui savent faire, font ; ceux qui ne savent pas faire, enseignent.” Or, ce n’est absolument pas mon cas. »
Son agenda est chargé, mais elle sait que l’entrepreneuriat culturel exige de la persévérance et une vision stratégique.
« À Miami, tout va très vite. Il faut être réactif, répondre aux demandes immédiatement, même le week-end. Ici, la musique doit s’adapter au rythme du business. » Avec son approche novatrice, elle prouve qu’il est possible de réinventer le concert classique et de connecter le public à la musique autrement. Son message ? « La musique, c’est la vie. Elle doit être vécue, partagée et ressentie. »
Découvrir l'univers d'Anne Chicheportiche par ici.
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